fire meet gasoline (yagor)

fire meet gasoline

L'obscurité s'était emparée progressivement des lieux, faisant briller davantage l'astre lunaire dans le ciel. La lueur des bougies était submergée par une luminosité argentée et irréelle. Les ombres étaient devenues moins anguleuses mais elles étaient toujours tapies dans les ténèbres auxquelles elles appartenaient. Un calme inquiétant régnait en maître impitoyable dans les couloirs de l'institut. Des heures s'étaient écoulées depuis le couvre-feu et Alexa errait seule comme une âme en peine. Elle appréciait cette quiétude si particulière dont elle ne pouvait profiter qu'une fois la nuit tombée. Une paix qui contrastait étonnement avec l'agitation quotidienne de l'école. Alexa en faisait l'amer constat tous les jours même si un feu ardent brûlait dans ses veines, la poussant à s'agiter en permanence. Un brasier qui la consumait de l'intérieur depuis des années. Elle en aimait d'autant plus ces instants apaisants. Alexa se retrouvait face à ses pensées les plus intimes même si elle devait veiller à faire respecter les règles de l'institut à tous les élèves. Elle guettait chaque bruit de pas et chaque soupire. L'esprit affûté, la jeune femme était à l'écoute de chaque détail qui détonnait avec le silence qui s'était imposé dans les murs du château. La dure quête pour obtenir son don de legimens avait grandement contribué à améliorer sa concentration. Elle avait désormais un esprit aussi tranchant qu'une lame d'acier et aussi dur que ce métal. Les paupières lourdes à cause de Morphée, la jeune femme réajusta les plis de sa cape sur sa poitrine. Un souffle chaud s'échappait de ses lèvres à chaque expiration. Une fumée blanche s'élevait alors dans les airs. Fusion de la chaleur corporelle d'Alexa et du froid glacial qui émanait des pierres humides de l'institut. Un frisson parcourut l'échine de la jeune femme qui serra les dents. Elle rêvait d'un feu incandescent, du toucher de la fourrure contre ses doigts et de la chaleur de bras contre sa peau. L'exact opposé de l'étreinte mortifère du vent nordique contre son corps. Elle posa ses prunelles sur la montre qui ornait son poignet et poussa un soupire de soulagement. Elle avait tenu serment et elle était délivrée de ses engagements de dragon jusqu'à l'aube. Alexa passa une main dans sa nuque tendue et s'éloigna du quartier des dragons. Les yeux marqués par la fatigue, une étincelle se réveilla en elle lorsqu'elle sentit des bras s'emparer de sa taille. Un parfum familier flottait dans l'air, aussi agréable que violent. Alexa ne se rappelait que trop bien de l'odeur qui s'était échappée de l'amortentia. Un souvenir encore vif dans son esprit indépendant. Un instant qu'elle tentait d'enfouir à tout jamais dans les limbes de son inconscient. Les yeux mi-clos, Alexa laissa échapper un rire amusé en sentant les mains l'enserrer davantage. Elle n'était pas un oiseau que l'on pouvait garder en cage. Avec une douceur déconcertante, Alexa posa ses mains sur celles de son fiancé afin de tenter de s'en libérer. En vain puisque son corps semblait paralysé par le contact du jeune homme. Elle détestait cette faiblesse qui l'envahissait dès qu'il était près d'elle. Elle se haïssait pour cela. Alexa était fière et cela la tuait de devoir reconnaître qu'elle était finalement pourvue d'émotions. Humaine. Elle qui s'était toujours targuée d'être une reine de glace, sans coeur et sans remords. Elle réalisait à quel point elle avait eu tort. Une  véritable claque. Un affront éhonté. Le coeur battant plus vite qu'à la normale, Alexa retint imperceptiblement sa respiration quand le souffle de Yagor effleura son cou délicat. « Essaierais-tu de corrompre un dragon ? » murmura-t-elle en essayant de conserver les apparences. Ils ne se connaissaient que trop bien pour se laisser berner. Ils étaient identiques. Trop semblables pour être dissociables l'un de l'autre. Inspirant profondément, la jeune femme se redressa légèrement. « Je présume que c'est le cas puisque tu es hors de ton pavillon en pleine nuit. » Parler l'aidait à retrouver ses esprits. Cela lui évitait de penser à la proximité de leurs deux corps ainsi que le souffle chaud qui courait sur sa peau. Elle réfléchissait et faisait appel à sa raison et non à des émotions interdites. Le sentiment n'était pas permis, elle se le répétait inlassablement depuis sa plus tendre enfance. Une litanie personnelle sensée la préparer au pire. Le mariage arrangé. Alexa se demandait parfois si ses fiançailles étaient un cadeau ou si au contraire elle allait s'y perdre. Elle était parfois apeurée à l'idée de devenir l'un de ces femmes démunies face à leurs sentiments, frêles et influençables. Une pensée qu'elle reniait aussitôt comme si elle s'y était brûlée. « Yagor. » murmura-t-elle, à la fois comme un avertissement et le semblant d'une concession. Elle s'était engagée dans un jeu dangereux. Un jeu dans lequel elle pouvait perdre beaucoup. Son honneur, sa fierté et ce qui semblait être un coeur dans sa poitrine.